NAUTILES - PHILIPPE MOURATOGLOU TRIO

« Du son avant toute chose ». Telle pourrait être, en adaptant la déclaration poétique de Paul Verlaine, la devise de Philippe Mouratoglou. Un son, c’est de l’énergie. Celle-ci parvient à l’oreille sous la forme d’une onde au profil spécifique, le timbre. Son → énergie → timbre : autant de termes-clés qui fouillent le cœur de la conception musicale du guitariste, cherchent à en saisir les qualités fondamentales.

Pierre angulaire de ses albums conçus pour/avec des improvisateurs, l’exploration du son s’y manifeste par un maniement des registres, l’emploi de diverses sortes de guitares (folk à six cordes ici – dont la durée des tenues est plus longue que celle de la guitare classique –, ou guitare baryton sonnant à la quarte inférieure), de multiples natures d’attaque des cordes, d’une densité polyphonique ou chordale plus ou moins fournie, de diverses sortes d’open tunings, et bien d’autres aspects encore. Toutes les pièces de Philippe Mouratoglou, comme ses arrangements de celles d’Ornette Coleman, Blind Willie Johnson ou Egberto Gismonti, ont été imaginées à partir de l’un et/ou l’autre de ces facteurs pour ensuite le(s) voir haussé(s) à la dimension d’un son de groupe singulier, aussi bien pour ce qui concerne les parties écrites que pour celles improvisées. Provenant de recherches sonores sur l’instrument, imaginées loin du papier réglé, ses propositions musicales n'ont rien de spéculatives. L’intellectualisme le cède ainsi toujours à un hédonisme, à un pur plaisir de l’immersion sonore.

De ce fait, le son distinctif de chaque plage du disque constitue non seulement une véritable rampe de lancement à l’action musicale mais aussi un horizon à perpétuer tout au long du déroulé temporel. Ce sont des jeux de résonances, la variété des couleurs et autres démarches de cette sorte qui autorisent le trio à ne jamais verser dans le monochrome. À cet égard, la subtile palette de nuances perçue au fil de l’écoute constitue un des éléments tout à fait distinctifs de la musique de Philippe Mouratoglou, dimension parfois réduite à portion congrue dans la pratique du jazz. L’approche de l’improvisation découle de ce précepte sonore. Elle consiste ici autant en une amplification des données musicales initiales qu’en une découverte de leurs potentiels inenvisagés. Loin d’être une fin en soi, improviser représente pour Philippe Mouratoglou un moyen de mettre en situation et en action le souffle de partenaires choisis pour leur capacité à encore inventer, élus pour leur vocation d’éclaireur traçant des pistes nouvelles vers des Terres promises et des Eldorados de la musique.

Alors que sur le premier opus du trio, Univers solitude (2018), la contrebasse était pensée comme une extension de la guitare, après Ricercare (2021) et plus encore dans ce disque-ci Philippe Mouratoglou laisse volontiers Bruno Chevillon libre de ses mouvements, celui-ci faisant preuve d’une compréhension télesthésique des intentions du leader. Conforté dans sa démarche par l’approche de même on ne peut plus ouverte et attentive de Ramón López, l’idée directrice générale du guitariste consiste donc à voir mener une donnée musicale vers un ailleurs insoupçonné, de par l’interaction et la puissance imaginative d’une formation triangulaire, démarche qui se rattache autant à la tradition du thème et variations de la musique « savante » occidentale qu’à celle de la performance jazz.

La musique ce faisant obtenue, ni mélancolique, ni effrénée, fruit d’une greffe stylistique atypique – synthèse de folk music, de jazz et de blues, de musiques dites « du monde », de « classique » de la Renaissance au romantisme, et de musiques « contemporaines » (moins comme esthétique qu’en tant qu’agent de sapidité) –, porte au rêve quels que soient les tempos. D’une sobriété lumineuse, la musique du trio mené par Philippe Mouratoglou fait du bien à l’âme.

Ludovic Florin


Philippe Mouratoglou : guitares acoustiques, voix

Bruno Chevillon : contrebasse

Ramon Lopez : batterie


Label

Vision Fugitive